Le champ d’application de la réglementation
Le contentieux de la rupture de relation commerciale établie est très abondant. En effet, le champ d’application de l’article du Code de commerce (art. L. 442-1-II) qui pose la règle applicable en la matière est très large, tant au niveau des personnes concernées que de la notion de relation commerciale établie.
L’auteur de la rupture peut être un producteur, un industriel, un distributeur, un commerçant ou un artisan. Ne sont pas visées, en revanche, les personnes morales relevant du droit civil ou du droit public et donc, notamment, les sociétés civiles immobilières (SCI), les collectivités territoriales ou encore les personnes physiques n’exerçant pas une profession commerciale ou artisanale, tels que, par exemple, les professionnels libéraux.
À noter : ces catégories de personnes peuvent tout de même voir leur responsabilité engagée au titre d’une rupture brutale de relation dont elles seraient les auteurs. Simplement, cette responsabilité ne sera pas assise sur le dispositif spécifique de l’article L. 442-1-II du Code de commerce, mais sur le droit commun de la responsabilité civile (contractuelle ou extracontractuelle selon les cas).
Quant au champ des victimes susceptibles d’être concernées, il est encore plus large, les tribunaux considérant que le statut juridique de la victime de la rupture brutale est, en principe, indifférent. Ainsi, une association, une SCI ou un professionnel libéral peuvent, en invoquant les dispositions de l’article L. 442-1-II, solliciter la réparation du préjudice que leur cause la rupture brutale d’une relation commerciale établie. La Cour de cassation a eu l’occasion cependant de préciser que le dispositif de l’article L. 442-1-II du Code de commerce ne pouvait être invoqué par les agents commerciaux dès lors que cette catégorie professionnelle bénéficiait d’un cadre légal spécifique.
La victime peut aussi être une victime par ricochet : par exemple, un sous-traitant touché par la rupture brutale des relations commerciales subie par son donneur d’ordre.
Sont concernées toutes les relations commerciales, qu’elles portent sur la fourniture d’un produit ou d’une prestation de services. Et peu importe la forme de cette relation, notamment qu’elle repose ou non sur un contrat. La notion de relation commerciale dépasse en effet celle de relation contractuelle. Un simple courant d’affaires non formalisé peut donc constituer une relation commerciale établie. A fortiori, l’existence d’une relation commerciale établie peut résulter d’une succession, sur plusieurs années, de contrats à durée déterminée (même de courte durée) ou d’un enchaînement, entre deux mêmes partenaires, de contrats de nature juridique différente avec des conditions différentes.
Sachant que pour être qualifiée de relation commerciale établie, la relation doit être régulière, significative et stable. Il faut que la continuité des relations d’affaires précédemment entretenues ait pu raisonnablement autoriser la victime de la rupture à considérer que ces relations allaient se poursuivre avec la même stabilité dans le futur.
Si la relation doit être significative, il n’est pas exigé, en revanche, qu’elle se caractérise par un important volume d’affaires.
Le caractère brutal de la rupture
L’entreprise victime de la rupture peut mettre en cause la responsabilité de son partenaire commercial lorsque cette rupture a été « brutale ».
La rupture de la relation commerciale peut bien sûr résulter de la résiliation unilatérale d’un contrat à durée indéterminée ou déterminée mais aussi du non-renouvellement d’un contrat à durée déterminée arrivé à son terme si, du moins, le renouvellement était envisageable. Tel n’est pas le cas lorsque le contrat excluait toute reconduction.
La rupture peut également se déduire de la modification par l’un des partenaires des conditions de la relation commerciale, si toutefois cette modification est substantielle. Tel est le cas par exemple :
– d’une diminution significative de la marge accordée jusque-là à un grossiste ;
– de l’augmentation par un fournisseur de ses tarifs et de ses conditions de règlement ;
– d’une baisse significative du volume des commandes.
La rupture peut être totale ou partielle. Constitue, par exemple, une rupture partielle des relations commerciales le déréférencement par un distributeur de certains des produits dont il s’approvisionnait auprès d’un fournisseur ou encore une baisse significative du volume de commandes ou du chiffre d’affaires.
Pour que la rupture soit qualifiée de « brutale », il faut qu’elle ait été précédée d’un préavis d’une durée insuffisante.
À ce titre, l’article L. 442-1-II du Code de commerce n’impose aucun formalisme particulier pour le préavis. Notamment, il n’est pas exigé que le préavis soit notifié par un courrier recommandé avec demande d’avis de réception. Il suffit qu’il y ait un écrit qui peut être un simple e-mail.
Il n’est pas non plus exigé un écrit notifiant spécifiquement le préavis. Ainsi, par exemple, les tribunaux ont pu considérer que l’annonce de nouveaux tarifs ou de conditions de vente substantiellement modifiées, l’émission d’un appel d’offres ou encore l’annonce de la création d’une filiale ayant pour activité celle du partenaire valait notification du préavis.
Quant à la durée de préavis, elle doit tenir compte de la durée de la relation commerciale.
Précision : le cas échéant, cette durée doit également respecter la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce ou par des accords interprofessionnels.
En pratique, la juste durée du préavis est appréciée au cas par cas par le juge. L’article L. 442-1-II du Code de commerce ne pose qu’un seul critère d’appréciation du caractère raisonnable du préavis : celui de l’ancienneté de la relation. Cependant, en pratique, les tribunaux ont également tendance à tenir compte de la nature de la relation commerciale. Notamment, un rapport de dépendance économique entre les partenaires ou une obligation d’exclusivité peuvent justifier un préavis plus long. Ceci explique qu’en la matière, il soit difficile de dégager des solutions générales.
Important : en toute hypothèse, la responsabilité de l’auteur de la rupture ne peut pas être engagée du chef d’une durée insuffisante dès lors qu’il a respecté un préavis de dix-huit mois au moins.
L’indemnisation du préjudice causé par la rupture brutale
L’auteur d’une rupture brutale d’une relation commerciale établie doit réparer le préjudice causé par la rupture brutale.
À noter : par exception à la règle posée par l’article L. 442-1-II du Code de commerce, la rupture brutale n’engage pas la responsabilité de son auteur si elle se justifie par la faute grave de celui qui subit la rupture ou par un cas de force majeure.
Ce préjudice est d’abord celui de la marge qui n’a pas pu être réalisée par l’entreprise victime pendant la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé. C’est la marge brute qui est le plus souvent retenue mais une indemnisation sur la base de la marge nette a parfois été accordée. En revanche, l’indemnité demandée ne peut correspondre à la perte de chiffre d’affaires.
Il incombe à la victime de la rupture de justifier du montant des dommages et intérêts qu’elle réclame. En pratique, le chiffrage du préjudice est souvent confié – et c’est d’ailleurs recommandé – à un cabinet d’expertise comptable qui est, dans ce cadre, chargé d’établir un rapport permettant de justifier du montant des dommages et intérêts réclamés.
Outre la perte de marge, la victime de la rupture brutale peut également solliciter des dommages et intérêts pour :
– le préjudice moral ou la perte d’image causés par la brutalité de la rupture ;
– les charges de restructuration – et en particulier le coût des licenciements – générées par la brutalité de la rupture.
Et attention, pour être indemnisable, le préjudice doit être causé par la brutalité de la rupture et non juste par la rupture elle-même. Ainsi, notamment, pour être indemnisée du coût des licenciements économiques qu’elle a dû engager, la victime de la rupture ne peut se contenter de dire que ces licenciements sont la conséquence de la rupture de la relation commerciale ; elle doit démontrer en quoi ceux-ci sont dus au caractère brutal de la rupture.
Outre les sanctions sollicitées par la victime de la rupture, l’auteur de la rupture peut également se voir condamner notamment à une amende civile, à la demande du ministère de l’Économie ou du ministère public.